V. 
Tome 1 - Ville de Sang 


Heilin regarda la piste de danse, remplie aux trois quarts malgré tout, et vit un homme avancer avec aisance parmi les danseurs collés-serrés. Il était grand – un bon mètre quatre-vingt-cinq, peut-être moins –, avait des cheveux noirs rasés de près, des lunettes de soleil cachant ses yeux, un bâton de sucette entre des lèvres pleines et rougies – sans doute par le colorant de sa friandise – un pull noir au col en V dévoilant une peau légèrement brune, des jambes aux cuisses immenses moulées dans un jean bleu clair terminé par des Rangers noires. Il n'était absolument pas le genre d'hommes qu'Heilin trouvait attirant, mais son aura ensorcelait tous les regards tournés sur lui. Ce type en « jetait » un max ! Les danseurs se glissaient hors de sa route.
Il grimpa les quelques marches avec une aisance loin de la lourdeur dont elle se serait attendue au vu de sa carrure. Plus il s'approchait, plus Heilin pouvait voir des petits détails qui lui avaient échappé de loin. Son pull moulait ses muscles sans paraître sur le point de se déchirer à chaque mouvement. Il avait des pommettes hautes, les traits secs et bien définis, ses cheveux n'étaient pas rasés, mais tirés en arrière avec trois mèches presque blondes au centre et il portait trois boucles en argent à l'oreille gauche. D'habitude, elle vannait toujours les hommes portant des boucles d'oreilles – oui, il s'agissait de piercings, mais à l'oreille, elle ne démordait pas que c'était des boucles ! –, mais là, elle s'abstint. La main qui s'était posée sur l'épaule droite de Tania devait faire son visage entier. S'il lui retournait une claque elle était bonne pour visiter le système solaire.

Quand il arriva à elle, il enleva ses lunettes dévoilant un regard brun possédant une larme dorée sur le côté droit de chaque œil.
Un Guépard.

- Rhett, se présenta-t-il en souriant chaleureusement.

C'était elle ou la température venait de grimper en flèche là ? Heilin se tapa mentalement. Ce type était un Waste et membre d’une équipe Officiel.
De plus, il ne cachait même pas ce qu'il était. Soit il était stupide soit il était trop dangereux et donc infréquentable.

- Heilin, répondit-elle un peu sur la défensive en évitant ses yeux.

Elle serra les poings en sentant la chose en elle bouger de long en large sous son crâne.
Ils passèrent la soirée à parler tous les quatre ensembles. Tout compte fait, Rhett était de très bonne compagnie. Il avait de l'humour, de l'autodérision, de très bonnes connaissances générales et il lisait autant qu'elle. Si ce n’était plus. Ils avaient parlé de la situation d'Helldown, de philosophie, de sciences, de séries télévisées du début millénaire qui repassaient à la télé pour le moment. Ils n'étaient jamais tombés en terrain miné. Jamais.

Ils avaient bien frôlé l'incident quand Heilin avait voulu payer une tournée et qu'il avait réglé sans lui demander son avis. Elle avait vu rouge et l'avait remis à sa place. Place de laquelle il s'était levé pour lui faire face et s'expliquer. Un mètre soixante contre un mètre quatre-vingt-cinq et plus. Elle avait abandonné pour cette fois. Au fil de la soirée, la douleur à son épaule se réveillait à son bon souvenir.

Au bout de plusieurs danses, une barrière supplémentaire avait cédé : ils se frôlaient plus que de raison et se parlaient un peu trop souvent à l'oreille. Heureusement que l'heureux couple – Tania et son mari – était enfermé dans sa petite bulle rose. Ils ne remarquaient rien.
Ils sortirent de la boîte à deux heures du matin. Étienne tenait une Tania sur le point de dormir à même le trottoir couvert de détritus.

- L'alcool ne lui réussit vraiment pas, rigola Heilin en aidant l'époux à mettre sa femme dans leur voiture.

Étienne soupira, un petit sourire contrit aux lèvres. Il se tourna vers Rhett qui avait remis ses lunettes de soleil sur son nez. En pleine nuit. Heilin ne chercha pas à comprendre. Il semblait posséder certaines petites lubies. Qui était-elle pour le juger en connaissant les siennes ?

- Cela vous dérange de rentrer par vos moyens ?

- J'ai ma voiture, répondit-elle.

- Je n’habite pas trop loin, sourit Rhett.

- Alors rentrez bien, tous les deux. À plus tard et merci pour la soirée.

Étienne les salua en leur faisant une accolade avant de démarrer et de rentrer chez eux. Heilin déglutit en sentant la chaleur du corps de Rhett dans son dos. Cette fois, il n'y avait plus personne pour les empêcher d'aller plus loin que quelques caresses anodines. Elle le regarda enfin, mais ne put déchiffrer ses attentes à cause des lunettes.

- Je te ramène ? proposa-t-elle, mine de rien.

- Où habites-tu ?

- Sur la Quatre-vingt-deuxième Ouest. Et toi ?

- Sur la Soixante-dix-huitième Ouest à quelques rues du Hayden Planetarium et juste en face de River Side Park.

- Ce n'est pas loin de chez moi. Je peux faire un détour...

Il la suivit jusqu'à sa Citroën, en silence. La tension entre eux suffisait amplement à remplir le vide de leur conversation. Heilin crut que l'habitacle de sa voiture allait imploser. Plus ils approchaient de l'appartement de Rhett, plus la tension augmentait.
Elle se gara juste en face d'un bâtiment défraichi, mais en bon état malgré tout. Ils restèrent statiques, un petit moment. Jusqu'à ce que la jeune femme sente une main se faufiler rapidement dans sa nuque, la presser et la faire pencher vers une bouche vorace. Son cœur s'arrêta l'espace d'une microseconde avant de repartir de plus belle. Son étreinte était forte, mais pas étouffante. Sa bouche écrasait ses lèvres, mais sans violence. Et sa langue caressait la sienne avec un art consommé.

Heilin prit à peine conscience d'avoir agrippé le pull de Rhett pour le plaquer un maximum contre elle.
Il se détacha légèrement, la laissant pantelante et morte de gêne d'être aussi retournée par un simple baiser.

Un vent froid surprit Heilin qui se retrouva sans personne devant elle. Elle cligna une fois des yeux avant d'avoir un bras autour de sa taille qui la sortit de sa voiture. La portière côté conducteur claqua alors qu'il la plaquait contre, sans ménagement, pour reprendre ses lèvres avec passion. Avoir son corps plaqué, entièrement, contre le sien était électrisant. Le souffle court, elle lui rendait son baiser avec autant de brutalité que lui. Ils étaient montés d'un cran dans leurs échanges passionnés. Ça ne la gênait pas.

La bouche de Rhett dériva dans son cou, le mordillant et le léchant. Elle le vit à d'autres endroits sur son corps leur faisant subir le même délicieux traitement. Ses cuisses se frottèrent l'une contre l'autre d'anticipation. Comme s'il avait lu dans ses pensées, il lui prit la main et l'entraîna à sa suite dans l'immeuble. Juste quand elle pensait tout arrêter, il la poussait contre les murs des couloirs et lui faisait oublier jusqu'à son nom.

C'était désolant de se savoir dans un tel état d'attente et d'envie, mais cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait ressenti un tel désir incendiaire. Heilin n'était pas une femme au plaisir facile. Elle trouvait rarement un homme beau très longtemps, voyant rapidement – trop – les défauts de l'autre. Rhett ne lui en avait montré tant mentalement que physiquement. Surtout physiquement. Toute la soirée, elle avait ressenti ce délicieux élan vers lui qui ne l'avait animée qu'une seule fois dans sa courte existante.
Et même le froid venant de sa morsure n’avait su éteindre les flammes naissantes dans le creux de son ventre.
Il ne lui avait laissé aucun moment pour pouvoir déceler ce petit détail qui l'aurait rendu comme tous les autres : insipide.
Ils entrèrent dans un appartement plongé dans une légère obscurité. L'atmosphère était douce et chaude ce qui acheva de mettre la jeune femme en confiance. Ils se séparèrent juste le temps d'enlever leurs chaussures et sa veste pour Heilin. Ils se retrouvèrent dans un salon assez grand, couvert d'un tapis duveteux. Une grande porte-fenêtre donnait sur River Side Park et New York Ouest au-delà de l'Hudson.
La lune éclairait un peu l'endroit.
Un bar. Un divan et trois fauteuils. Une table basse visiblement en verre. Des poufs en forme de poire. Une bibliothèque qui n'avait rien à envier à la sienne. Des cadres. Une horloge. Un écran plat.
Un corps puissant se colla à son dos. Deux mains immenses se posèrent sur sa poitrine à travers son dos nu. Un frisson la parcourut. Il les remonta jusqu'à son visage dont il retraça les courbes puis se perdit dans ses cheveux noirs qu'il détacha soigneusement. Il plongea son visage dans sa chevelure tombant jusqu'à mi-dos et respira lentement.



 
 



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