I.
Tome 1 - Ville de Sang 


Extrait 1 

3


Rapport personnel d’événements, enregistré par Headhunter Ned Diho, 14/07/2009 (Enregistrement sur CD audio)

Résumé des événements du Quatorze Juillet deux mille neuf, décrits le quinze juillet deux mille neuf à treize heures trente pour archives personnelles.

Nous sommes tous partis de la « Maison » vers vingt heures, vingt heures quinze maximum, pour effectuer la mission d'équipe donnée par notre directeur, Coles. C'était simple : ramener deux Headhunters Renégats déserteurs. Lomel et Denotri m'accompagnaient. Notre efficacité nous a valu l’honneur d'être désigné comme la première équipe d’Headhunters Officiels : les Alpha. Ça ne nous dérangeait pas, nous savions qu’ensemble, nous étions les meilleurs. Sauf que ce soir, nous étions tous sur les nerfs sans savoir pourquoi au juste. Nous étions à fleur de peau dans notre voiture banalisée à surveiller la maison du couple Renégat. Lomel avait mangé chez eux la veille, je suppose que c'était sa nervosité qu'on ressentait tous. Moi aussi, j'avais déjà été à quelques-unes de leur soirée. Denotri, lui, passait toutes ses pauses avec le Renégat.

- Et si on les interrogeait sur ce qu'ils ont vraiment fait ? nous a demandé ce dernier, à voix basse.

Je suppose qu'il avait honte de poser cette question, mais que c'était plus fort que lui. En tous les cas, personne ne lui a répondu. Pour Lomel, je ne sais pas, mais moi, j'étais d'accord avec le Petit. Les Renégats étaient nos amis, nos camarades, et nous ne pouvions pas abandonner un camarade sans raison.

Là, nous les lâchions, et en plus, nous les achevions sans même connaître le comment du pourquoi. Les grands patrons nous ont demandé de débarrasser la Corporation de gêneurs, mais nous n'avions pas envie de remplir cette foutue mission.

Oui, je sais, c'est un rapport officiel qui va être décortiqué, mais je suis obligé de déclarer tout cela pour expliquer la suite. Vous pigez ?

Enfin, soit...

Après que le Petit ait posé sa question, nous avons gardé le silence pendant plus de deux heures. En fait, jusqu'à ce qu'on les voit arriver avec leurs enfants dans leurs bras. J'ai senti mon cœur se serrer en songeant à ma fille et ma femme. Le Petit avait raison, je ne me voyais pas faire ça à des coéquipiers et surtout pas à une famille.

Comme un seul homme, nous sommes sortis de la voiture. Les Renégats se sont figés, mais ils n'ont pas tenté de fuir. Nous avons placé nos mains en évidence. Nous connaissons le métier depuis le temps alors nous savons quelles réactions on aurait si on voyait trois types en tenues de Headhunters venir vers nous en pleine nuit.

Lomel et Denotri sont restés derrière moi.

Je crois qu'ils m'avaient élu « diplomate » de la soirée. Ce qui est risible parce que je suis nul en diplomatie. Je ne sais même pas comment j'ai pu obtenir mon diplôme à cause de mes mauvaises notes...

Mais je m'égare. Vos raisons sont les vôtres après tout !

Je me suis approché du couple de Renégats et je leur ai posé la question de but en blanc :

- Pourquoi ?

Ils se sont regardés, mais n’ont pas répondu de suite. Je voyais les yeux d'Angeline observer autour de nous, angoissée. Jerry n'était pas mieux, je pouvais presque voir la sueur perler sur leurs fronts.

Vous savez, j'ai toujours obéi, mais là.... Je ne sais pas pour les autres, mais moi, je ne pouvais pas. Je maintiens que l'on ne peut pas tirer dans le dos d'un camarade sans raison. Je n'ai pas été engagé pour ça et eux non plus. Alors nous devions savoir les raisons d'une mission pareille avant de l'accepter. Je sais que c'était de la désertion. Je pense que nous en avions parfaitement conscience tous les trois.

Cependant, je crois que parfois il ne faut pas trop réfléchir. Il faut se laisser porter. Et nous nous sommes laissés porter.

Ils nous ont ouvert leur maison où j'étais venu plusieurs fois pour souper, déjeuner et même garder leurs mômes.

Je ne saurais pas décrire ce que j'ai ressenti, mais sur le coup, c'était vraiment étrange. Nous faisions quelque chose de mal, passible de mort, pourtant, je me suis senti plus vivant que jamais. Ma conscience était silencieuse, paisible.

Ils ont mis les gamins dans leurs lits. Ce sont deux enfants super, vous savez. L'aîné sera sûrement un Headhunter accompli quand il en aura l'âge. À onze ans, il n'arrête pas de répéter qu'il sera comme son père. La fille est plus calme, mais d'une intelligence vive, elle sera sûrement avocate ou un truc tout aussi chiant. Le portrait craché de sa mère.

Oui, je m'écarte du sujet, mais peut-être que comme ça, vous comprendrez pourquoi nous avons tenté de savoir.

Nous nous sommes rendus dans le salon. Lomel s'est mis à côté de la porte et Denotri près de la baie vitrée. S'ils ont vu notre petit manège de protection des lieux, les Renégats n'en ont rien laissé paraître. Alors nous avons discuté.... Plus ou moins.

- Je ne comprends pas, a explosé Lomel.

Il a toujours été le plus sensible de notre groupe. Je suppose que la tension dans le salon était trop grande. Angeline lui a répondu, très calmement – notez qu'elle a toujours été très zen, je ne l'ai jamais vu s'énerver sur personne - .

- Parce que nous sommes percés à jour et que nous allons fuir.

J'étais vraiment perplexe. Jerry et elle se sont regardés de manière entendue. Il s'est approché et je me suis tendu prêt à l'attaque.

- Nous ne sommes pas des Headhunters comme les autres, les gars, a-t-il soupiré.

Je crois que mon cerveau a commencé à comprendre à ce moment-là parce que je me suis levé sans même m'en rendre compte. Je ne voulais pas le croire alors j'ai laissé parler les autres.

- Pas comme les autres ? a répété Denotri, complètement perdu.

Angeline s'est approchée de son mari et lui a serré le bras légèrement comme si elle avait peur que nous le descendions sur place... Ou qu'il ne commette quelque chose de fou.

Qui sait ce qui lui passait par la tête ?

- Je m'appelle Jerry Davidson !

Une jappe de plomb nous est tombée dessus. Nous avions tous imaginé un tas de scénarios allant du plus loufoque au plus glauque, mais jamais nous n'aurions pensé à ça. Je me suis rassis sur le fauteuil, sonné. En même temps, tout s'assemblait dans ma tête : ses disparitions soudaines, la promesse qu'il nous avait arrachée – que s'il était touché gravement, nous le laisserions mourir –, et la manière dont les patrons le traitaient.

Vous étiez bien trop révérencieux, si vous voulez mon avis.

Denotri, Lomel et moi, nous nous sommes regardés comme des cloches pendant... je ne sais pas... dix bonnes minutes, je pense.

- Pourquoi vouloir votre mort après tout ce temps passé dans leur rang ? lui ai-je demandé.

Le choc n'était pas passé, mais j'ai été entraîné pour poser mes questions avant de laisser les sentiments parler.

- Je voulais savoir ce que la Headhunter Corporation prévoyait pour mon peuple. Alors je me suis fait engager dans la « Maison » incognito, mais Coles m'a percé à jour récemment.

- Et maintenant que le grand gourou des Wastes a été identifié, ils veulent vous faire taire !

Jerry a opiné de la tête. Mes années d'entraînement et de formation au sein de la Headhunter Corporation m'ont soufflé de le tuer et de ramener sa tête à la « Maison », mais je n'ai pas pu. Je connais Jerry et Angeline depuis des années, je l'ai vu sauter dans un fleuve gelé pour sauver une gamine humaine. J'ai vu Angeline faire rempart de son corps pour protéger un homme d'une attaque de Loup-Garou. Ce n'étaient pas des plans machiavéliques à la con pour nous mettre dans leurs poches. Au vu de la peur qu'ils avaient, ils pensaient que nous allions les abattre sur le champ. Lomel a tendu sa main à Jerry pour sceller un pacte muet.

Un pacte qui n'a pas été long.

 
 



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